Gris-gris et potions anti-roquettes : la tenue de guerre spectaculaire des anti-balaka

Lorsqu’un anti-balaka s’approche de vous, cela peut être “effrayant”, explique l'humanitaire française Claudia Priest, ex-otage en Centrafrique. Outre leurs machettes, poignards et fusils, ces combattants ont une allure surprenante, conférée par la présence de nombreux gris-gris et amulettes, censés, selon leurs croyances, leur assurer une protection anti-balles.

Lorsqu’elle était détenue par ces combattants, en janvier dernier, Claudia Priest a été témoin de la confection d’une étrange mixture aux allures d’arme redoutable, selon les anti-balaka. “Ils m’ont montré un arbuste ‘anti-roquettes’”, se souvient-elle. “Ils ont cueilli des feuilles qu’ils ont ensuite broyées dans un mortier à l’aide d’un pilon, puis ils ont fait sécher la poudre obtenue.” Des petits sachets ont ensuite été remplis avec cette mixture et les anti-balaka en ont accroché un peu partout sur leur corps. “Sous leurs vêtements, ils se sont recouverts de petits sacs disposés à même la peau, sur leurs biceps, leur cou, leur taille.”

Ces pochettes-boucliers peuvent aussi contenir diverses substances, des objets ou des morceaux de papier tirés de textes sacrés. Le contenu de chaque sachet demeure, en tout cas, secret.


Fred Dufour, AFP | Des anti-balaka à Bangui en février 2014.

“Mieux qu’un gilet pare-balles”

Les anti-balaka, ces milices essentiellement chrétiennes qui se sont formées pour lutter contre la Séléka, arborent par ailleurs toutes sortes d’objets sur leurs vêtements. Des “pièces de métal” sont notamment souvent épinglées sur leur chapeau. “J’ai vu un homme qui portait un bonnet dans lequel était intégrée une grande corne de rhinocéros en métal. Elle était pointée vers l’avant”, décrit Claudia Priest, rentrée en France en janvier. Un symbole va-t-en guerre, s’il en est.

Ces soldats sont également friands de croix religieuses “très visibles, très grosses”, de chapelets, de bracelets. Autour de leur biceps, les geôliers de Claudia Priest portaient des sortes de disques tranchants, qui dissuaderaient quiconque de se frotter à eux.

Dans un article publié dans “La nouvelle Centrafrique” en mars 2014, un anti-balaka surnommé Émotion explique pourquoi il porte un collier en cuir : “C’est pour ma protection [...] C’est bien mieux qu’un gilet pare-balles. Quand je le porte, les balles et les machettes ne peuvent pas me toucher. Même les roquettes ne m’atteignent pas”. La croyance veut que les balles se transforment en gouttes d'eau avant d’atteindre le corps de celui qui dispose d’amulettes.

“Ils sont vraiment persuadés qu’ils sont inatteignables”

Ce sentiment d’invulnérabilité est présent jusque dans le nom des “anti-balaka”. Ce terme, qui peine à être traduit officiellement, signifierait moins “anti-machettes” que ”anti-balles AK”, en référence aux munitions des Kalachnikov AK 47 tirées par les membres de la Séléka.

“Ils sont vraiment, vraiment persuadés qu’ils sont inatteignables”, observe Claudia Priest, qui assure leur avoir conseillé d’abandonner les armes s’ils voulaient réellement se protéger.
 

Fred Dufour, AFP |Un anti-balaka montre son amulette : une croix dans une bouteille.
 
De fait, force est de constater que tout cet attirail confère aux anti-balaka beaucoup d’assurance.

Et, lorsqu’un membre du groupe est blessé ou tué en dépit de la présence de gris-gris sur son corps, c’est que la procédure d’utilisation a mal été respectée, selon divers témoignages. “Si un porteur de fétiche touche sa partenaire pendant ses règles, ou qu’il passe sous un fil à linge avec des sous-vêtements féminins dessus, ça ne marche plus”, est-il par exemple expliqué dans l’article de “La nouvelle Centrafrique”.

“Les anti-balaka sont des jeunes livrés à eux-mêmes et très attirés par l’animisme”, estime l’ancienne otage.

L’art de la mise-en-scène

Si ces pratiques, largement assimilées à de la superstition en Occident, peuvent faire dresser les sourcils, voire provoquer des moqueries, l’anthropologue Andrea Ceriana Mayneri indique, lui, qu’elles ne sont rien de plus qu’une mise en scène macabre et qu’elles révèlent, avant tout, la volonté des anti-balaka d’esthétiser leur démarche.

“À travers leur tenue, les anti-balaka se construisent une identité guerrière et apporte une cohésion à leur groupe. Ils mettent en scène la guerre, la bataille et la mort. C’est de la spectacularisation”, commente-t-il, tout en évoquant le côté “déshumanisant” de leur “déguisement”. “Cela entre dans une logique très pragmatique : diffuser la terreur, l’inquiétude, la peur.”

Pour ce spécialiste, auteur de "Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique, l’imaginaire de la dépossession en pays banda", les anti-balaka ne sont par ailleurs pas aussi sûrs de leur protection sacrée qu’il n’y paraît. “Ils ne sont pas obnubilés par la croyance et la sorcellerie au point de ne pas se rendre compte qu’ils peuvent être tués à tout moment”, assure-t-il.

Outre la mise en scène, Andrea Ceriana Mayneri, qui est entré en contact avec plusieurs victimes de ces miliciens, voit dans le recours aux gris-gris une façon de “se rassurer par des rituels, des pratiques quotidiennes”.

Déjà répandue en Centrafrique, la diffusion d’objets de protection a connu un boom avec l’explosion  de la guerre. Face à l’augmentation de la demande, les sachets “anti-mitraillette”, normalement confectionnés avec des peaux d’animaux cousues, sont désormais faits d’une sorte de plastique.

Pour Andrea Ceriana Mayneri, il s’agit d’un triste constat : “Dans toutes les guerres du monde, les combattants disposent d’amulettes. Ici, il s’agit de tenir le plus longtemps possible face à la mort et au malheur, tenir bien au-delà de ce qui peut être acceptable pour une vie normale”.
Tags for all blogs :
Comments or opinions expressed on this blog are those of the individual contributors only, and do not necessarily represent the views of FRANCE 24. The content on this blog is provided on an "as-is" basis. FRANCE 24 is not liable for any damages whatsoever arising out of the content or use of this blog.
2 Comments
vraiment sont des sanguinaires, la nébuleuse anti balaka
ces milices ne sont pas chrétiennes car elles ne confessent pas le nom de JESUS.le Christ enseigne l'amour du prochain dc svp arrêtons ces appellations infondées de milices chrétiennes

Poster un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ ne sera pas montré publiquement.
  • Aucune balise HTML autorisée

Plus d'informations sur les options de formatage

CAPTCHA
Cette question vous est posée pour vérifier si vous êtes un humain et non un robot et ainsi prévenir le spam automatique.