Claudia Priest, ex-otage en Centrafrique : "Je n’ai pas vraiment eu peur"

Claudia Priest connaît bien la Centrafrique pour y travailler en tant que bénévole depuis 10 ans. Le 19 janvier dernier, elle affirme ne pas avoir fait preuve d’imprudence. Ce jour-là, à bord d’un véhicule pick-up de l’ONG médicale catholique Codis (Coordination diocésaine de la santé), elle emprunte en compagnie d’un Centrafricain la route qui relie Bangui à Damara, en direction du Tchad. Le but du voyage est d’acheminer du matériel médical et de doubler la capacité d’accueil de salles d’accouchement. Soudain, le véhicule est stoppé par des anti-balaka.

"Ils ont surgi avec des armes, des mitraillettes, des kalachnikovs et autres, je ne connais pas trop les armes", raconte Claudia Priest. "Ils ont crié ‘On a la munzu !’ ['On a la Blanche', en langue sango]", précise-t-elle, en affirmant que son kidnapping n’est que le fruit du hasard.

Claudia Priest accueillie à l’aéroport de Villacoublay par le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, le 25 janvier 2015. Bertrand Guay, AFP
 
Cette retraitée de 67 ans originaire de Saône-et-Loire raconte l’empressement de ses ravisseurs et la panique qui, alors, l’a gagnée : "Ils manifestaient leur satisfaction en tirant dans tous les coins, je me suis dit : ‘On va se prendre une balle perdue’". Possédant un nombre impressionnant d’armes, les anti-balaka sont aussi clairement novices dans le maniement de ces dernières.

Bêtise et haine

Ils entament alors une marche rythmée. "Je n’arrivais pas à aller aussi vite qu’eux alors ils m’ont littéralement traînée. Ils ont été très, très violents. Ils m’ont frappée à la tête, m’ont menacée avec un poignard placé sous ma gorge et avec une machette. Tout en marchant, ils me dépouillaient. Ils m’ont tout pris : mon appareil photo, mon bloc-notes, mon alliance, ma croix. Même mes lunettes de vue, bien que je doute qu’ils puissent en faire quoi que ce soit. L’idée était de dire : ‘On te prive de tout’. Lorsqu’ils m’ont demandé d’enlever ma robe, là j’ai dit non, c’en était trop. Pareil lorsqu’ils ont voulu que je fume du chanvre, j’ai refusé. Ils voulaient certainement que mon esprit soit aussi embrumé que le leur…"

Pour cette humanitaire arrivée en Centrafrique le 6 janvier pour une mission de deux semaines, la situation est claire : elle est aux mains de crapules stupides et haineuses, "bêtes et butées", dit-elle, dont le principal objectif est d’amasser du butin. Elle décide d’être docile.

Elle est cagoulée lors d’une pause sous un manguier, afin qu’elle ne puisse pas reconnaître un nouvel arrivant dans le groupe. "J’ai appris plus tard qu’il s’agissait du colonel Didier, le frère du chef, Rodrigue Ngaïbona, dit 'général Andjilo', dont le groupe réclame la libération."

"Maman, on va te libérer"

À la nuit tombée, la marche reprend, sur 20 kilomètres. Claudia Priest, en sandales, se blesse. Elle est finalement séquestrée dans une maison isolée d’un village, où une dizaine de gardiens la retiennent. Durant cinq jours, Claudia Priest découvre que ses nouveaux geôliers, qui ne possèdent pas d’armes, sont des personnes attentionnées et qu'elle peut avoir avec eux des "échanges agréables". Elle indique ne pas vraiment avoir eu peur. "Ces anti-balaka-là étaient plus éduqués. Ils me demandaient constamment si je voulais manger, ils voulaient que je leur parle, ils me disaient qu’ils rêvaient d’aller en France."

La sexagénaire leur raconte alors la pauvreté en France, les soupes populaires servies dans la rue, le travail des "Restos du cœur". "Ils n’imaginaient pas ça", assure-t-elle.

Celle que les anti-balaka appellent "Maman" - terme utilisé en Centrafrique pour s’adresser à une femme âgée -  tente alors de faire entendre raison à ces hommes. Elle les encourage à déposer les armes, veut récupérer son téléphone pour entamer des négociations. "Ils ne voulaient rien entendre, mais tous les jours ils me disaient ‘Maman, ça va être bon, on va te libérer’."

Claudia Priest essaie de hâter la procédure, leur faisant savoir que des équipes vont sûrement partir à sa recherche. Puis, fatiguée, affaiblie par ses blessures, elle perd patience et entame une grève de la faim. "Je me suis allongée sur un lit de briques et je leur ai dit : 'Je ne vous entends plus, je ne vous écoute plus, je ne mange plus jusqu’à que vous me disiez "Tu es libre".' Ce n’était pas du bluff", déclare-t-elle. Quelques heures plus tard, elle est amenée dans un village et libérée, sans avoir d’information sur d’éventuelles négociations.

Solidarité de la population

Depuis son retour en France, dimanche soir, Claudia Priest chasse le souvenir de ces hommes naïfs et haineux par celui, plus positif, des Centrafricains qui lui ont massivement témoigné leur soutien. "La population a fait quelque chose d’énorme, les gens se sont réunis et ont prié en signe de solidarité. Certains ont témoigné sur des radios locales de mon engagement humanitaire en Centrafrique."

Pour cette passionnée, il est d’ailleurs très important de rappeler que les anti-balaka sont en rupture totale avec la population.

"Les Centrafricains ne sont pas belliqueux. Lorsque nous marchions, des villageois venaient me serrer la main, me donner à manger. Ils étaient profondément en désaccord avec mon kidnapping, mais ne pouvaient pas faire grand-chose contre les anti-balaka", témoigne cette femme, qui a entamé des procédures pour obtenir la nationalité centrafricaine. En 2005, elle a créé l’association Imohoro avec son mari, et compte bien que ses activités se poursuivent. "J’attends que cela se calme et je retournerai en Centrafrique," affirme-t-elle.
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