William Daniels met en lumière la "nuit noire" en Centrafrique


À Bangui, une jeune femme pleure la mort d’un membre de sa famille poignardé par des musulmans. William Daniels

 
Tout journaliste travaillant sur la crise centrafricaine connaît les mêmes questionnements : comment lutter contre l’oubli en Centrafrique ? Comment raconter ce qu’on a déjà l’impression d’avoir raconté mille fois ? Comment expliquer un tel chaos, un tel déchaînement de violences ? Caché derrière son appareil photo, William Daniels n’a de cesse de soulever ces questions depuis la première fois où il a mis les pieds dans le pays, en novembre 2013.

À l’époque, ce photojournaliste lauréat de deux récompenses "World Press", en partie célèbre pour avoir été bloqué en Syrie en 2012 aux côtés d’Edith Bouvier, découvre un pays au bord de l’éclatement. Les forces Séléka sèment la violence dans les rues de Bangui, huit mois après le coup d’État (le 5ème dans l’histoire instable du pays) perpétré contre l’ex-président François Bozizé.

William Daniels y retourne en décembre et côtoie de près des anti-Balakas, juste avant que ces miliciens ne passent à l’attaque, le 5 décembre 2013, et que le pays ne s’embrase pour de bon.
Très vite, il crée des "liens affectifs" avec ce pays. Il s’y aventure à nouveau fin janvier, "une période dure", alors que l’actualité ukrainienne vient bousculer les Unes des journaux. La Centrafrique est reléguée au second plan. À l’époque, les Centrafricains accueillent de manière positive son travail. Pour eux, il est l’un des journalistes qui vont permettre que leurs souffrances soient visibles. "La population chrétienne voulait montrer les exactions", raconte-t-il.

"Bangui, maintenant, ça m’angoisse"

Fin mars, cependant, lors d’un quatrième voyage, William Daniels se "fait peur". À Bangui, il est menacé avec un couteau, en marge de violences dans le quartier de Fatima, pour la simple raison qu’il est journaliste. "Les gens sont plein de rage, ils cherchent un responsable à ce qui leur arrive. Quand ils voient un appareil photo, ça réveille leur colère", analyse-t-il avec le recul.

Le lendemain, il est à nouveau violemment pris à partie. Après que les forces tchadiennes ont tiré dans le tas à l’intérieur du quartier PK 12, William Daniels décide de se rendre dans un hôpital où affluent les blessés [trente personnes ont été tuées dans cette bourde de l’armée tchadienne et trois cents autres blessées]. Là, il se fait frapper par plusieurs femmes, furieuses, incontrôlables. Il tente alors de leur expliquer sa position : il faut montrer les blessés, témoigner sur ce qu’il vient de se passer… En vain. La colère est plus forte. "Cela m’a mis très mal à l’aise. Je suis resté dix minutes et je suis parti. Je n’ai pas exploité le peu de photos que j’ai prises à ce moment-là", lâche-t-il.


Une maison brûlée par des rebelles de la Séléka à Zawa. William Daniels
 
Pour le photojournaliste, le choc est de taille : "six mois avant, les gens me suppliaient de les prendre en photo". Désormais, il évite les quartiers sensibles de la capitale. "Bangui, ça m’angoisse maintenant", avoue-t-il. La lassitude a en effet gagné la population et les journalistes sont vus comme des opportunistes inutiles, venus s’enrichir. Reporter indépendant, William Daniels décrit pourtant son travail en RCA comme "pas du tout rentable".

De fait, ses confrères se font de plus en plus rares. "Les journalistes viennent en général quand ça pète, faire du news, puis repartent. Et puis les rédactions ont moins de sous, elles envoient moins de monde sur le terrain. Pourtant en Centrafrique, il faudrait travailler en profondeur, se demander pourquoi, depuis 40 ans, ce pays ne va pas bien."

"Tu es fou d’aller dans le Nord !"

En mai, l’annonce de la mort de Camille Lepage, la photoreporter française de 26 ans assassinée alors qu’elle réalisait un reportage, change la donne. "C’était une amie. J’étais très proche d’elle. Après sa mort, j’ai décidé de me mettre en retrait." William Daniels n’ira plus en Centrafrique pendant cinq mois. Durant ce laps de temps, la crise qui s'y joue disparaît encore un peu plus des écrans radar, éclipsée par les jihadistes de l’organisation de l’État islamique.

William Daniels attend septembre, et le festival de photojournalisme de Perpignan au cours duquel il remporte une bourse, pour faire le deuil de Camille. "Elle avait le courage de faire ce que personne ne faisait, et c’est ce que j’essaie désormais de faire."

Il s’envole dans la foulée vers le nord de la Centrafrique. "Tu es fou d’aller là-bas !", entend-il de la part de ses collègues avant de partir. À Ndélé, il voit le délabrement mais il rencontre des habitants accueillants, heureux qu’un journaliste vienne jusqu’à eux. Il découvre aussi que, dans cette localité, l’entente entre musulmans et chrétiens est de mise. "Tout s’est bien passé, j’ai été très étonné", dit-il.

William Daniels en est convaincu : il ne faut pas laisser tomber la Centrafrique. Il faut s’attacher toujours plus au contexte, raconter les motivations de la Séléka, se pencher sur l’économie du pays, pointer du doigt la corruption maladive des élites, révéler que, à Ndélé par exemple, il n’y a plus d’électricité depuis 10 ans, et que les habitants attendent qu’on rallume la lumière.


En collaboration avec Action contre la faim, William Daniels expose, samedi 4 octobre, une fresque-reportage à Paris, consacrée à la "Nuit noire en Centrafrique", dans le cadre de la 13e édition de la Nuit blanche.
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